Accusés de tous les maux
Les pigeons vecteurs de maladies ? Cette rumeur persistante en fait des mal-aimés alors qu’ils ne contaminent pas plus les humains que n’importe quel animal de compagnie. Selon les études scientifiques, le risque de transmission est négligeable. Sinon, les pigeonniers auraient été interdits depuis des millénaires. L’argument des risques sanitaires a largement été utilisé pour justifier les abattages massifs de pigeons et les communes devraient plutôt rassurer la population en tenant compte des connaissances actuelles. Une hygiène élémentaire des mains suffit après contact avec les pigeons ou leurs fientes. En outre, les pigeons nourris au grain, comme à Ixelles, sont bien moins sujets aux maladies.
Mieux nourris, moins de fientes acides
Les tentatives antérieures visant à éliminer cruellement les pigeons ont échoué partout. Il nous faut donc accepter de cohabiter paisiblement avec eux tout en évitant leur surpopulation par des méthodes douces.
Tout d’abord, les études scientifiques nous indiquent que les fientes d’un pigeon alimenté sainement au grain sont moins abondantes, moins liquides et moins corrosives. De nombreux matériaux ne sont pas attaqués par les fientes alors que la pollution souille fortement les bâtiments. Un nettoyage à l’eau suffit souvent, mais la solution la plus adaptée pour empêcher les pigeons de se poser sur les toits des maisons est le placement de pics recourbés qui ne blessent pas les volatiles.
D’où viennent tous ces pigeons ?
D’après l’atlas des oiseaux nicheurs de Bruxelles publié par Natagora en 2007, la population de pigeons serait de 2 200 à 4 500 couples pour la période de 2000 à 2004. Le suivi de l’avifaune bruxelloise montre qu’elle a augmenté de 4,4 % par an en moyenne entre 1992 et 2017, chiffre probablement dépassé aujourd’hui.
Les colombophiles sont amplement responsables de cette prolifération. Les pigeons voyageurs qui se perdent en route s’établissent dans des quartiers fréquentés en quête de miettes et y assurent leur descendance. Ni sauvages ni domestiques, ils se sont adaptés tant bien que mal au stress nutritionnel, au bruit de la ville, à l’éclairage artificiel et à la pollution chimique qui font quand même régresser leur espérance de vie de 20 ans à 5 ans. Les lâchers de colombes blanches lors des mariages augmenteraient encore la surpopulation de colombidés si ces jolis volatiles, habitués à être nourris dans des élevages, ne mouraient rapidement après leur envol. Un destin funeste ignoré des fêtards.
Mais ces pigeons bisets descendent aussi d’ancêtres domestiqués depuis l’Antiquité par les humains pour leur chair, leurs œufs et leurs fientes fertilisantes. Et pour leur service de communication longue distance en temps de paix ou de guerre, influençant ainsi des conflits militaires. Munis d’un minuscule appareil photos, ils nous ont même rapporté des clichés vus du ciel dès 1907.
Notre responsabilité est donc engagée vis-à-vis d’animaux que les humains ont soustraits à leurs falaises sur tous les continents, les privant de leur milieu naturel pour les exploiter et les faire se reproduire pendant des millénaires. Aujourd’hui coincés dans les villes, ils sont acculés à mendier pour survivre quand ils ne sont pas chassés à coups de pied.
Des prouesses cognitives qui changent notre regard
La recherche sur les capacités des pigeons est foisonnante. Ainsi, des études nous font découvrir des facettes incroyables de leur personnalité, de leur sensibilité et de leur intelligence.
Connus pour leur fidélité au sein du couple et pour les soins à parts égales prodigués par les deux parents à leurs petits, l’on sait moins qu’ils sont très réceptifs aux émotions humaines et reconnaissent les personnes bienveillantes ou malveillantes à leur égard. Ils se reconnaissent individuellement, notamment par la démarche et les caractéristiques faciales. Ils sont capables d’apprendre de nouvelles techniques d’apprentissage que leurs congénères imitent ensuite.
Et ils identifient les communications des autres espèces : le cri d’alarme du merle déclenche leur envol mais pas son chant.
Plus étonnant, les pigeons passent avec succès le test du miroir, démontrant ainsi une conscience de soi. Mais aussi, pour atteindre un aliment, ils sont capables de déplacer astucieusement un cube qui leur servira de marchepied.
Ils savent faire plusieurs choses à la fois et sont même plus rapides que les humains pour passer d’une tâche à l’autre. Ils distinguent chaque lettre de l’alphabet, ordonnent des chiffres, trient des figures géométriques de couleurs variables ou des ensembles dans l’ordre croissant en fonction du nombre d’articles qu’ils contiennent. Lors d’une expérience, ils ont classé 128 objets en 16 catégories (poissons, chiens, voitures, bébés…). De nouveaux tests révèlent qu’ils distinguent les concepts abstraits du temps et de l’espace à l’instar des humains et des grands singes. Ils prennent d’ailleurs des décisions à partir de concepts abstraits et ils font même la différence entre un Picasso et un Monet.
L’expérience de la corde est éclairante : réalisée sur écran tactile, elle consiste à lier un point lumineux à un symbole hors d’atteinte représentant de la nourriture. Les deux sont reliés par un trait de couleur et on y ajoute d’autres points reliés à des symboles sans importance. Chaque clic sur le point relié à la nourriture raccourcit la corde et rapproche le symbole de la nourriture jusqu’à obtention de vraie nourriture. Résultat : les pigeons sélectionnent chaque fois correctement le bon point malgré des croisements divers et variés des cordes.
sources
Les fientes de pigeons, un problème surestimé :
Les fientes de pigeons, un problème surestimé
Étude sur différents matériaux :
Les pigeons capables de distinguer les concepts du temps et de l’espace :
Discrimination des lettres et des motifs de points aléatoires par les pigeons et les humains :
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/4009122
L’intelligence des pigeons :
Sébastien Moro, la cognition des pigeons :